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| Kyrian Malone | Écriture et romance lesbienne

Pourquoi je n'aime pas écrire à la 1ere personne ?

(Temps de lecture: 4 - 8 minutes)

Pourquoi je n'aime pas écrire à la 1ere personne

Écrire à la première personne, avec la proximité immédiate et son accès direct aux pensées et aux sentiments du narrateur, est souvent perçue comme une voie attrayante pour les lectrices. Pourtant, en tant qu'auteure, j'ai personnellement constaté que je n'aime pas écrire à la première personne. Ce choix est moins lié à un dégoût pour cette perspective narrative qu'à une reconnaissance de ses limitations et des défis qu'elle présente.

Dans cet article, je souhaite expliquer en détail les raisons de ma préférence pour d'autres perspectives narratives, et j'exposerai certains des problèmes auxquels les auteurs peuvent être confrontés lorsqu'ils choisissent d'écrire à la première personne. Que vous soyez un auteur débutant cherchant à comprendre les nuances de la perspective narrative, ou un écrivain confirmé qui souhaite explorer une nouvelle approche, j'espère que vous trouverez dans cet article des conseils au choix que vous ferez pour vos projets d'écriture.

Sommaire

1. L'absence de flexibilité narrative

L'une des raisons principales pour lesquelles je n'aime pas écrire à la première personne est l'absence relative de flexibilité narrative qu'elle implique. Contrairement à la troisième personne, qui permet une approche plus polyvalente, la première personne est intrinsèquement limitée par le point de vue du narrateur. Le lecteur ne sait que ce que le narrateur sait, voit et comprend, ce qui peut restreindre considérablement la portée de l'histoire.

Dans une histoire complexe avec plusieurs arcs narratifs - notamment les thrillers ou les romans de science-fiction - ou dans une histoire où des éléments clés se déroulent hors de la vue du narrateur, la première personne peut s'avérer être un choix de perspective narrative frustrant. L'histoire est racontée à travers un seul filtre (parfois deux si l'autrice décide de développer les points de vue de deux personnages), ce qui peut empêcher le développement de sous-intrigues riches et la présentation d'une image complète de l'univers de l'histoire.

Cela ne signifie pas que la première personne ne peut pas être efficace, mais elle demande une attention et une planification plus rigoureuses pour éviter que l'histoire ne devienne unidimensionnelle. De plus, le défi d'incorporer des informations importantes sans recourir à des explications maladroites ou à des coïncidences peu convaincantes peut être particulièrement difficile à relever en écrivant à la première personne.

2. Le risque de favoritisme des personnages

Une autre raison pour laquelle je trouve l'écriture à la première personne moins attrayante est le risque de favoritisme des personnages. Quand une histoire est racontée à la première personne, le narrateur devient inévitablement le centre de l'attention. Tout tourne autour de lui, de ses sentiments, de ses pensées, de ses perceptions. Cette proximité peut, si l'on n'y prend pas garde, conduire à une survalorisation du narrateur aux dépens des autres personnages.

Ce phénomène peut se traduire par un manque de développement des personnages secondaires, qui sont vus uniquement à travers le prisme du narrateur et ne sont donc pas aussi nuancés et bien développés. Le risque est d'aboutir à des personnages secondaires qui semblent unidimensionnels ou qui sont perçus comme des satellites du narrateur, existant uniquement pour soutenir son histoire ou souligner ses traits de caractère. Cette problématique très frustrante m'est apparue dans un récent 4 mains dans lequel il m'était impossible d'approfondir les psychologies des personnages secondaires dont l'importance était capitale.

Si cette subjectivité n'est pas gérée avec soin, elle peut compromettre l'équilibre de l'histoire et limiter sa profondeur et sa complexité.

3. La difficulté d'explorer différents points de vue

Comme précisé ci-dessus, la rédaction à la première personne présente cette limitation majeure : la difficulté d'explorer différents points de vue. La première personne est intrinsèquement liée à la perspective du narrateur. Cela signifie que toute l'histoire est filtrée à travers les yeux d'un seul personnage, ce qui peut empêcher d'explorer pleinement les perspectives et les motivations des autres personnages.

Il peut être très enrichissant de plonger dans les pensées et les sentiments de différents personnages, d'exposer leurs motivations et leurs conflits internes, d'explorer les nuances de leurs relations les uns avec les autres. Cependant, à moins de passer d'un narrateur à l'autre, ce qui peut être déroutant s'il n'est pas bien géré, l'écriture à la première personne rend difficile cette exploration.

De plus, l'écriture à la première personne peut limiter la capacité de l'auteur à présenter une vision d'ensemble de l'univers de l'histoire, en particulier dans les genres comme la science-fiction ou la fantasy, où le monde lui-même peut être un personnage à part entière. La narration à la troisième personne permet une description plus complète et nuancée du monde, des événements et des personnages qui évoluent dans le cadre de l'histoire.

4. Le piège du "trop" d'émotion

Écrire à la première personne implique souvent de plonger profondément dans le monde émotionnel du narrateur. Alors que cela peut être un outil puissant pour créer une connexion empathique avec le lecteur, notamment pour les romances pures, il y a aussi un risque de tomber dans le piège du "trop" d'émotion.

Lorsque les pensées et les sentiments du narrateur sont constamment au premier plan, l'histoire peut devenir saturée d'émotions, ce qui risque de submerger le lecteur et de rendre l'histoire émotionnellement épuisante. Les descriptions constantes des états émotionnels du narrateur peuvent devenir répétitives et lasser le lecteur. De plus, le fait de toujours rester dans la tête du personnage peut entraver le rythme du récit, en ralentissant l'action et en privant le lecteur d'une respiration narrative nécessaire.

Un autre aspect de ce piège émotionnel est le risque de surdramatisation. Les narrateurs à la première personne sont souvent profondément impliqués dans les événements qu'ils décrivent, et leur perspective subjective peut conduire à exagérer les enjeux émotionnels. Cette intensité peut être efficace si elle est utilisée avec parcimonie, mais lorsqu'elle est omniprésente, elle risque de rendre l'histoire moins crédible et de diminuer l'impact des moments véritablement dramatiques.

5. Les limites de l'omniscience

L'un des plus grands défis de l'écriture à la première personne réside dans ses limites en matière d'omniscience. Contrairement à un narrateur à la troisième personne omniscient, un narrateur à la première personne ne peut pas tout savoir. Il est limité par ses propres connaissances, perceptions et expériences. Par conséquent, tout ce qui se passe en dehors de son champ de perception doit être découvert par d'autres moyens, ce qui peut être une véritable contrainte pour le développement de l'intrigue.

Par exemple, si un événement crucial pour l'intrigue se produit à un endroit où le narrateur n'est pas présent, l'auteur doit trouver un moyen crédible de l'informer. Cela peut conduire à des scènes artificielles où un autre personnage raconte l'événement au narrateur, ou à des coïncidences improbables qui placent le narrateur au bon endroit au bon moment. Ces astuces peuvent facilement sembler forcées et rompre l'immersion du lecteur dans l'histoire.

De plus, l'incapacité du narrateur à connaître les pensées et les sentiments des autres personnages peut limiter la profondeur psychologique de l'histoire. Alors qu'un narrateur omniscient peut plonger dans l'esprit de n'importe quel personnage, un narrateur à la première personne ne peut que deviner ou interpréter les motivations des autres, ce qui peut restreindre l'exploration des dynamiques de personnage et des conflits internes.

6. L'identification trop facile du narrateur à l'auteur

Une autre difficulté inhérente à l'écriture à la première personne est la tendance des lecteurs à identifier le narrateur à l'auteur. Pour cette raison je ne lis quasiment aucun roman rédigé à la première personne ! Même lorsque l'histoire est fictive, il peut être difficile pour certains lecteurs de ne pas imaginer que l'auteur partage les mêmes pensées, sentiments ou expériences que le narrateur.

Cette identification peut limiter la liberté de l'auteur à créer des personnages uniques et diversifiés, surtout si le narrateur est un personnage qui possède des traits de caractère ou qui vit des expériences radicalement différentes de celles de l'auteur. Les lecteurs peuvent interpréter les mots du narrateur comme une expression directe des opinions ou des croyances de l'auteur, ce qui peut mener à des malentendus ou à des jugements hâtifs.

En outre, l'identification du narrateur à l'auteur peut susciter des attentes injustes de la part du lecteur. Si l'auteur crée un narrateur déplaisant ou impopulaire, cela peut affecter la manière dont le lecteur perçoit l'auteur lui-même, même si le personnage n'est pas censé être un reflet de l'auteur.

Pour ces raisons, écrire à la première personne peut parfois être un exercice délicat d'équilibrage entre la création d'un narrateur crédible et distinct et la prévention d'une identification trop facile entre l'auteur et le narrateur.

7. La difficulté de maintenir le suspense

Un autre défi de l'écriture à la première personne est la gestion du suspense. Dans une histoire racontée à la première personne, le lecteur a généralement accès aux pensées et aux sentiments du narrateur, ainsi qu'à sa connaissance des événements. Cela peut rendre difficile la création d'un suspense efficace, car le lecteur est souvent au courant de ce que le narrateur sait et ressent.

Cela peut particulièrement poser problème dans les genres qui reposent fortement sur le suspense et l'incertitude, comme le thriller ou le mystère. Pour maintenir le suspense, l'auteur peut être tenté de retenir certaines informations du narrateur, ou de créer des situations où le narrateur est induit en erreur. Cependant, ces techniques doivent être utilisées avec précaution pour éviter de donner l'impression que l'auteur manipule artificiellement l'intrigue.

 

Un autre article sur le même sujet : "10 bonnes raisons d'écrire à la 3e personne et au temps du récit"

Kyrian Malone


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